Une fois, notre grand cheikh s'est adressé à moi en disant :
« Ô Nazim effendi, je veux te parler d'un sujet très sérieux. Un sujet auquel toi et tous les chercheurs devez prêter la plus grande attention.
« N'adorez pas votre moi (l'ego) comme un dieu à côté d'Allah le Tout-Puissant. Vous devez y prêter une grande attention, parce que vous pouvez être partisans de cette espèce de polythéisme sans vous en rendre compte. L'adoration du moi est la déviation la plus dangereuse de la foi pure, elle est l'idolâtrie cachée. » Nous, les êtres humains, sommes en réalité les créatures les plus faibles. Chaque animal qui marche sur la terre, nage dans la mer ou vole dans le ciel a des mécanismes d'adaptation meilleurs que les nôtres. Ils peuvent parcourir la nature, manger de l'herbe, boire de l'eau boueuse, dormir par terre: ils ont de la fourrure pour se chauffer, ou ce sont des animaux à sang froid. Ils ne vont pas être affectés par le changement normal du temps. Mais nos corps à nous sont si délicats: nous avons besoin de différentes sortes d'habits pour chaque saison, nous devons veiller à la propreté de notre nourriture et de nos boissons, sinon nous tombons malades. Autrement dit, si nous devions nous exposer aux mêmes conditions que les autres créatures pour survivre, nous mourrions vite. En ce sens, donc, l'homme est le plus faible des animaux...
Mais on peut remarquer que nous, individus faibles, délicats et vulnérables, n'acceptons aucun associé dans un projet si nous sommes capables de le réaliser tout seuls. C'est seulement quand une tâche nous paraît au-dessus de nos capacités que nous cherchons l'aide de quelqu'un. Par exemple, si un homme établit une petite firme et parvient à la financer et à la diriger lui-même, cherche-t-il un associé ? Non, cela serait inutile.
Si vous reconnaissez donc que même une créature faible n’accepte jamaIs un associé sans raison, comment pouvez-vous attribuer un associé ou des associés à Dieu Tout-Puissant ?
Qui pourrait être un associé au Seigneur de l'Univers, le Seigneur de la toute puissance, qui a le pouvoir illimité et qui a tout créé ? Comment accepterait-il un associé, un fils, une femme ou une fille ? Quelle créature pourrait-elle faire un associé convenable pour Lui ? Existe-t-il une telle créature ?
Devrait-Il, le Créateur, créer cette créature et l'établir à Son côté ? Cela est insensé! Vous acceptez un associé pour vous fournir quelque chose qui vous manque: la finance ou la main d’œuvre . Voilà les raisons pour lesquelles vous tolérez un tel fardeau. Mais qui peut aider Dieu ?
Pour cette raison, tous les prophètes se sont déclarés ouvertement contre de telles idées insensées et donc contre le polythéisme. Mais il existe une sorte de polythéisme qui est secret et difficilement perceptible. En réalité, beaucoup de gens sont en train d'adorer un dieu à côté de Dieu le Tout-Puissant sans s'en rendre compte. Même ceux qui prétendent l'adorer, Lui seul, persistent dans l'adoration de cette idole secrète en eux mêmes. Et qui prétend être un associé à Dieu le Tout-Puissant ?
Nul autre, bien sûr, que notre moi, l'ego.
Votre «moi» s'approche de vous en disant: «Je suis Son associé, L'aimes-tu, Lui, oui ou non ? Car je suis l'idole que tu dois adorer, à côté de Dieu. Si tu tiens à adorer Dieu et prétends qu'Il est ton Seigneur, je ne peux pas te dissuader d'une telle folie, mais au moins tu dois me reconnaître comme ton deuxième Seigneur et essayer de me plaire aussi. Si tu fais tout ton possible pour être un serviteur obéissant à ton Seigneur , tu dois faire tout ton possible pour être mon serviteur, si tu obéis à ton Seigneur, tu dois m'obéir aussi. Continue, s'il le faut, à professer ta foi en Dieu, à prier cinq fois par jour, à jeûner pendant ramadan, fais le pèlerinage à La Mecque, fais l'aumône, mais je ne vais pas tolérer tout cela si tu ne me dédies pas ces actes à moi aussi - j'exige ma part!» Quand le «moi» s'adresse à nous d'une telle manière, nous répondons: «Ô mon moi, tu as raison d'exiger que je te rende hommage aussi, et je m'efforcerai de te plaire, de t'honorer et de t'obéir. Et si, parfois, je ne peux pas faire ce que tu veux, pardonne-moi, je t'en prie, et sache que je fais tout mon possible pour te satisfaire.» Nous, musulmans, suivons la religion monothéiste. Nous faisons, peut-être, ce qui est suffisant pour entretenir notre foi.
Lorsque nous voyons dans les musées les idoles que les anciens taillaient dans la pierre, façonnaient dans l' argile ou le métal, nous rions de cette sottise d'adorer ce qui est fabriqué par la main humaine en disant: « Ces anciens, combien ils étaient stupides! Hi! hi! hi! Fabriquer des statues et leur obéir, leur faire des aveux, les aimer et honorer! » Et pourtant nous ne valons pas mieux qu'eux si nous sommes les adeptes du « moi-dieu ». Le saint Prophète nous a mis en garde contre ce piège d'une manière très claire, surtout parce qu'il est très bien caché, comme un piège dans la jungle masqué par des branches et des feuillages. Bien des gens adorent cet associé sans même le soupçonner .
Le grand cheikh nous a enseigné aussi que ce « moi-dieu » ne sera jamais satisfait en étant le numéro deux. «Non, dit-il, je-suis premier, deuxième, et troisième, n'adore rien que moi.» Mais quand il sent un peu de résistance, il fait un petit ajustement en disant: «D'accord, Il est premier, je suis deuxième», profitant de la moindre occasion pour saboter notre foi.
Pour cette raison notre tâche est de détrôner l'associé, et tous les prophètes étaient envoyés à l'humanité pour lui enseigner comment le faire. Nous avons besoin de suivre un entraînement avec quelqu'un qui puisse être ferme devant les exigences de son moi, quelqu'un qui ait maîtrisé son ego afin qu'il n'exige jamais qu'on lui donne de l'attention ou qu'on le dorlote. Jusqu'à ce que vous ayez atteint ce point là, vous devez vous rendre compte que vous êtes un idolâtre secret et pour cette raison votre cœur sera fermé et isolé des faveurs de la connaissance divine.
Vous devez alors, pour suivre cet entraînement, chercher la «compagnie» d'un homme qui, premièrement, s'est rendu compte du jeu dangereux que joue l'ego, et qui, deuxièmement, s'est débarrassé de sa tutelle. À cette condition seulement le chercheur de vérité pourra arriver à sa destination. Pour cette raison, le sceau des prophètes, Muhammad - que la paix soit avec lui -, enseignait à ses compagnons précisément en les traitant comme des compagnons, en leur tenant compagnie.
Par conséquent, les héritiers du Prophète, les maîtres naqchabandi, soulignent l'importance de la suhba, la compagnie du cheikh, comme le pilier essentiel de l'entraînement des chercheurs. Chah Naqchaband, l'imam célèbre de cette chaîne de maîtres que nous suivons, l'imam qui a donné son nom à ce chemin et sans lequel il n’y aurait pas de naqshabandiyya disait toujours dans ses assemblées: « Notre chemin est la suhba (la compagnie ), et tout rassemblement est un bien. Il a dit aussi que si quelqu'un assiste à une assemblée de cette voie ne serait-ce que pendant cinq ou dix minutes, le bénéfice spirituel qu'il tirera de cette brève rencontre sera supérieur à celui que lui procureraient sept années d'adoration volontaire en solitaire .
Voilà le pouvoir de l'assemblée des héritiers du Prophète , et ce qui augmente ce pouvoir, c'est l'unanimité des participants dans cette assemblée, l'union sincère des cœurs avec le cœur du cheikh. Dans une telle assemblée, ce pouvoir descend dans les cœurs des participants dont même les racines profondes de' l'idolâtrie cachée de soi peuvent être arrachées. Vous pouvez observer qu'avec chaque suhba, le pouvoir du moi diminue.
Notre grand cheikh expliquait que sans compagnie, suhba, il est très difficile de combattre le moi, d'identifier ses ruses et de se tirer de ses griffes. Nous avons besoin d'un guide pour nous montrer quels chemins nous mènent sur les falaises, car ce sont les chemins que notre ego aime indiquer, en dressant de grands panneaux: «rue directe» ou «raccourci», et vous croyez que tout va bien. Le moi vient vous conseiller encore :
« Si tu fais ceci, cela arrivera, si tu fais cela, ceci arrivera. Cela est convenable, mais pas ceci. » Et, avec de tels «bons conseils», il essaye de changer votre cœur, de vous dresser contre votre Seigneur Tout-Puissant.
Mais quand vous tenez compagnie au cheikh, le moi et ses actions se manifestent vite et deviennent clairs. Le déguisement du moi tombe de telle façon qu'il reste devant vous, nu et exposé. Alors vous êtes étonné et vous déclarez: «Celui-là n'est que mon moi ? Il était si bien déguisé que je l'ai pris pour un conseiller très important et très qualifié, mais maintenant je vois que c'est seulement l'ancien scélérat.» De cette façon, la compagnie avec le cheikh peut vous aider à prendre conscience de vos défauts, ensuite, si vous continuez à travailler sur ces mauvais traits avec effort et application, vous allez très vite vous améliorer.
Il faut aussi comprendre que quand un groupe de nos frères ou sœurs se rassemblent pour l'amour de Dieu Tout-Puissant, en joignant leurs cœurs avec les maîtres de cette voie, cette assemblée atteint le même niveau que celle que nous venons de décrire. Ne vous méprenez pas en pensant que la seule assemblée efficace est celle à laquelle le cheikh assiste physiquement.
Quand nos frères ou sœurs se rassemblent, l'un d'entre eux doit être le moyen de recevoir l'inspiration du cheikh, l'un doit parler et les autres doivent écouter, l'un doit prendre du cheikh et les autres prendront du cheikh à travers lui. La voie naqchabandi est le chemin soufi qui adhère le plus aux pratiques du Saint Prophète - que la paix soit sur lui -, et cette forme de compagnonnage était son habitude comme celle de ses compagnons, car il nommait toujours un chef pour présider en son absence.
Oui, l'un doit parler et les autres doivent écouter, de cette façon toutes les assemblées de nos frères ou sœurs sont bénies.
Si plus d'une personne dirige, ou s'il y a des disputes et du désaccord, alors il n'y aura pas de pouvoir spirituel dans cette assemblée et les Cœurs resteront froids. Pour cette raison, si nous indiquons que l'un de nos frères doit parler dans une assemblée, vous êtes obligés de l'écouter. Quand vous l'écouterez, il sera capable de recevoir les inspirations de notre grand cheikh dont le Cœur est en connexion avec notre Prophète - que la paix soit avec lui -, dont le cœur est toujours avec Dieu Tout-Puissant. De cette manière Dieu Tout-Puissant va aider cette personne et lui octroyer une part de Ses bénédictions, de Sa miséricorde infinie, de Ses océans de connaissance et de Sa faveur, pour que par ses paroles ceux qui assistent à cette assemblée puissent être guidés vers leurs destinations.
Quand le cheikh demande à une personne de s'adresser aux gens de sa part, n'importe où et à n'importe quel moment, il peut y avoir cent personnes, mille personnes ou un million de personnes qui écoutent le discours de cette personne, et chacun d'eux sera capable d'en prendre ce dont il a besoin. Il est impossible que quelqu'un puisse parler de la part du cheikh sans que personne ne profite de cette compagnie, au contraire , toute le monde en prendra sa part.
Je tins compagnie à notre grand cheikh pendant quarante ans, et j'avais l'habitude de retranscrire ses paroles. En tout, il y eut plus de sept mille réunions de compagnonnage. Il était si généreux en sa compagnie et sa sagesse que même s'il n'y avait qu'une personne, il restait avec elle et lui enseignait. Il s'adressait aux gens à son aise, n'oubliait jamais de parler à chaque personne ou à chaque groupe de personnes: enfants ou adultes, citadins ou villageois. Il pouvait s'adresser aux gens selon les capacités de leur esprit, adapter son discours à leur niveau, bien qu'il fût lui-même illettré. C'était possible parce que sa connaissance ne venait pas des livres, mais du cœur, et par son cœur coulait tout ce dont nous avions besoin.
Cheikh Nazim Muhammad Adil Al Haqqani
Sheikh Hassan Dyck nous fait l'honneur d'un concert le 11 décembre à Paris dans une magnifique salle aux pieds de la Tout Eiffel.
Suhba du 26/08/2009 :: Créés dans la lumière mais vivant dans l’obscurité
Visible en video : ici
Suhbat du Dimanche 26 Juillet 2009
Traduction ici